Depuis la loi El Khomri, accordant aux travailleurs des plateformes le droit de créer une organisation syndicale, une loi était nécessaire quant à l’organisation du dialogue social au sein des plateformes. Etait attendue, a minima, un cadre légal permettant un progrès significatif face aux conditions de travail souvent indignes des travailleurs des plateformes, en s’appuyant notamment sur le droit commun et les dispositions du Code du travail.
Tel n’est pas le cas, et nous nous retrouvons 6 ans plus tard avec une proposition de cadre normatif du dialogue social, privé de réels droits sociaux et de contenu protecteur.
Après la promulgation de ce texte, les travailleurs des plateformes n’auront toujours pas de salaire minimum garanti, toujours pas de protection contre les licenciements par déconnexion de la plateforme, toujours pas d’encadrement de la durée maximale de travail, toujours pas de congés ni de jours de repos sanctuarisés et rémunérés.
Le texte sur lequel le Sénat et l’Assemblée se sont accordés, contient une légère compensation de ces manques à l’article 2, en stipulant que le dialogue social établit avec les plateformes devra comprendre la fixation du prix des prestations, le développement des compétences professionnelles et la prévention des risques professionnels. Mais en renvoyant ces droits sociaux à la négociation collective, nous permettons un droit du travail différencié qui a toutes les chances de se montrer moins disant car rien n’est fait par ailleurs pour corriger les inégalités de rapport de force entre les plateformes et les travailleurs.
Or le dialogue social ne peut améliorer la situation des travailleurs d’une branche que si la puissance publique impose une base de négociation protectrice, en l’occurrence, le Code du travail dont une des fonction est de rééquilibrer le rapport de subordination entre l’employeur et les salariés.
Lien de subordination qui a été reconnu par plus d’une centaine de décisions de justice en Europe. Après une résolution du Parlement européen allant dans ce sens, la Commission Européenne présentait en décembre une directive sur la présomption de salariat pour tous les travailleurs des plateformes.
La Commission considère précisément que c’est le statut erroné d’indépendants qui empêche ces travailleurs de jouir des droits sociaux auxquels ils auraient sinon droit : salaire minimum, réglementation du temps de travail, protection sociale…
C’est donc le statut et le renvoi aux droits sociaux qui lui sont attachés qui protège les travailleurs, et non une prétendue autorégulation du dialogue social de parties déséquilibrées, bien souvent synonyme de régression sociale.
Dans le cadre de la documentation qui accompagne son introduction en Bourse en 2019, Uber écrivait page 30 : « Etant donné que nous prévoyons de réduire les incitations monétaires des conducteurs afin d’améliorer nos performances financières, nous nous attendons à ce que leur insatisfaction augmente ». Cyniquement exprimée, la régulation des tarifs échappe aux travailleurs et la gestion des insatisfactions induite par une baisse des rémunérations est intégrée sans que cela ne freine aucunement la plateforme, qui ne se soucie que de ses actionnaires.
De fait, si Uber insiste tant sur l’indépendance de ses chauffeurs, c’est que leur requalification en salariés représenterait un surcoût significatif de l’ordre de 20% à 30%. La préservation des profits de cette firme tient donc entièrement sur la promesse mensongère de l’autonomie des travailleurs, renforcée par ce texte.
En effet, à l’Assemblée Nationale, la Rapporteure écrivait dans son rapport que l’objectif des dispositions – maintenues à l’alinéa 16 et suivant du texte de la CMP – est de « réduire le faisceau d’indices susceptibles de révéler l’existence d’un lien de subordination, tel que celui-ci est défini par la jurisprudence de telle sorte que les risques de requalification de leur contrat commercial en contrat de travail soient limités ».
Le but est donc de sécuriser les plateformes plus que de protéger les travailleurs, au contraire, leur demande de requalification sera rendue plus difficile.
Avec un dialogue social sans droits sociaux, nous maintenons près de 200 000 travailleurs en dehors de tout cadre légal qui leur permettrait de se défendre équitablement face au management algorithmique et nous privons la sécurité sociale d’importantes ressources.
Aussi, le groupe écologiste a voté contre.